lundi 16 avril 2012

Le rôle politique du roi Albert II en 2005

Malgré le deuil de la Cour suite au décès de la grande-duchesse Joséphine-Charlotte, Albert reçoit en audience, en janvier 2005, le patron de l'entreprise Remmery M. Rik Vannieuwenhuyse et son employée d'origine marocaine Naïma. L'entretien a duré une heure. Le souverain souhaitait leur apporter publiquement son soutien, suite aux lettres de menaces reçues parce que Naïma portait le voile à son travail. Pourtant, elle est bien intégrée en Flandre, parle parfaitement le néerlandais et ses deux enfants sont également scolarisés dans cette langue.

Après cette audience très médiatisée, Rik Vannieuwenhuyse confia à la presse : "On était tous très nerveux au départ, mais deux minutes plus tard, on était mis à l'aise par le Roi. Il connaissait très, très bien le dossier et nous a félicités pour notre réaction. L'ambiance était excellente, détendue et cordiale. J'ai discuté avec le Roi des lettres de menace, de l'attitude à adopter, mais j'ai aussi parlé de mon entreprise. Le souverain s'est montré très intéressé. Il nous a dit que nous avions pris la bonne décision de ne pas répondre aux exigences des lettres de menaces. Il a manifestement apprécié notre résistance".

Dans son discours de Nouvel An 2005 aux autorités du pays, Albert II déclare : "Il est tellement facile d'attiser la méfiance vis-à-vis de l'autre, de propager des caricatures de l'autre, de privilégier le repli identitaire au lieu du dialogue. Rejetons la démagogie. Ne décrions pas toute autorité. Ne banalisons pas non plus le racisme et l'extrémisme, d'où qu'ils viennent. Ils sont contraires à nos valeurs fondamentales. Après-demain, je serai à Auschwitz, pour commémorer, avec d'autres chefs d'Etat et de gouvernement, le 60ème anniversaire de la libération du camp. Cela nous rappelera à quels extrêmes le racisme peut conduire. N'oublions jamais les leçons de l'Histoire".

A l'invitation du président polonais Aleksander Kwasniewski, le Roi, le premier ministre Guy Verhofstadt, la présidente du Sénat Anne-Marie Lizin et le ministre de la Défense André Flahaut représentent la Belgique à la cérémonie internationale organisée à Auschwitz. Ils visitent ensuite le pavillon belge créé en 1978 sous l'impulsion du roi Baudouin. Devant la presse et sans aucun texte préparé à lire, Albert II fait part de ses sentiments personnels à Paul Halter, un ancien déporté : "Ce qui est un scandale, c'est que c'est l'Occident qui l'a fait. Nous qui nous considérons comme des humanistes, qui nous considérons comme des gens civilisés. C'est une leçon terrible. C'est pour çà qu'il faut être très très vigilant, ne rien laisser passer. Le danger, c'est dans deux ou trois générations, qu'il n'y aura plus de véritables témoins et qu'il y aura des gens qui diront : Mais écoutez, vous exagérez".

Suite aux nouvelles menaces reçues par Rik Vannieuwenhuyse et son employée Naïma, le couple royal souhaite leur apporter à nouveau son soutien. De retour d'une visite officielle à la commune de Roulers le 19 avril, Albert et Paola s'arrêtent à l'entreprise de plats préparés Remmery à Ledegem et posent symboliquement avec Naïma pour la presse. Un geste très fort. En octobre, le Roi effectue une nouvelle visite au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Entretemps, Albert II doit aussi faire face aux querelles communautaires autour de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Il tente de ramener tout le monde au calme dans son discours de Nouvel An : "Certes, la diversité est source de richesse culturelle et matérielle, mais elle peut également créer des frictions et des tensions. A nous tous de bien gérer cette diversité et de mener des politiques de dialogue et de proximité (...) Dans un pays multiculturel, le véritable courage consiste à favoriser l'entente, la collaboration et la compréhension mutuelles. A ce sujet, on ne dira jamais assez combien la connaissance de la langue et de la culture des autres communautés de notre Etat fédéral est importante. Les méthodes d'apprentissage des langues se sont modernisées. Il est nécessaire d'en faire bénéficier les enfants dès leur premier âge car c'est une période où ils apprennent avec facilité".

Il évoque aussi la situation économique : "Notre prospérité est le fruit de nombreux facteurs. Il y a la qualité de notre enseignement, la créativité de nos chercheurs et de nos entrepreneurs, le travail assidu et la grande productivité de nos travailleurs. Notre économie est parmi les plus ouvertes au monde, ce qui nous met en bonne position en ces temps de globalisation. Néanmoins, nous aurions tort de considérer ces réalisations comme acquises une fois pour toutes et comme allant de soi.

Notre prospérité sera durable si nous persistons dans notre action et plus spécialement dans notre volonté d'organiser un enseignement de valeur et une recherche fondamentale appliquée compétitive. J'ai été impressionné lors de mes visites à des entreprises et universités par la qualité des recherches qui y sont développées et par l'influence bénéfique qui en résulte en matière de création d'entreprises de pointe. Consacrer des ressources significatives à la recherche est un gage pour la prospérité d'aujourd'hui et de demain. C'est d'ailleurs un engagement que notre pays a contracté dans le cadre du programme de Lisbonne. Notre excellente protection sociale, pour garder toute son efficacité, réclame, elle aussi, notre engagement volontaire et persévérant. Il est indispensable qu'un plus grand nombre de concitoyens demeurent actifs, en particulier ceux qui ont entre 55 et 65 ans".

Suite à l'échec des négociations sur la scission de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde en mai 2005, Guy Verhofstadt est reçu en audience par Albert II. Après cette entrevue, le Palais diffuse un communiqué inhabituel d'une seule phrase : "Le Roi et le premier ministre ont souligné combien, dans les circonstances actuelles, une crise politique serait inopportune et porterait un grave préjudice au bien-être économique et social des citoyens".

Les spécialistes de la Constitution ne sont pas tous du même avis. Pour le professeur Robert Senelle : "En soulignant combien une crise politique serait inopportune, le Roi a clairement donné un avis politique. Il soutient le gouvernement violet contre l'opposition. Or, si le Roi peut bien évidemment avoir une opinion politique, il ne peut l'exprimer. En public, il doit conserver une stricte neutralité politique. En soutenant le gouvernement, il commet une erreur puisque l'opposition actuelle pourrait devenir la majorité du gouvernement suivant".

Sénateur CDH dans l'opposition, le professeur Francis Delperée n'est pas d'accord : "Le Roi n'est pas une potiche : il n'est pas là pour inaugurer les chrysanthèmes. Il est assez grand pour estimer qu'une crise politique n'est pas utile. C'est le propre de la fonction royale entendue de façon responsable et intelligente que de s'exprimer ainsi. Pourvu qu'il le fasse avec l'accord du chef du gouvernement, ce qui est le cas ici".

A l'occasion du 175ème anniversaire de l'indépendance de la Belgique et des 25 ans du fédéralisme, Albert et Paola assistent en 2005 aux cinq fêtes des régions et communautés, comme ils l'avaient fait au début de leur règne. En outre, le Roi se rend à Namur pour présider, une nouvelle fois, une réunion de travail sur le Contrat d'Avenir de la Wallonie qui l'intéresse vivement. Sans doute espère-t-il que le redressement économique du sud du pays diminuerait les tensions communautaires...

Nouvelle allusion lors du discours de la fête nationale 2005 : "Au cours de mes nombreux contacts avec tant de personnes dans tous les coins de la Belgique, beaucoup m'ont exprimé leur souci de l'unité du pays. Cela revenait comme un leitmotiv. Je n'ai donc pas été surpris par le résultat d'un sondage, effectué en mars dernier, au sujet de notre avenir commun. A la question "Selon vous, la Belgique doit-elle rester unie?" , 87 % répondaient par l'affirmative et ce pourcentage était quasiment le même dans nos trois régions. Le fait que 13 % pensent le contraire, et l'expriment parfois bruyamment, ne peut faire oublier que l'immense majorité de notre population est habitée par la volonté d'unité".

Vu l'intérêt économique de ce pays en pleine expansion, le roi Albert et la reine Paola effectuent en 2005 l'un des deux plus longs voyages d'Etat de leur règne (avec l'Inde en 2008). Ils sont accompagnés d'une centaine de personnes, dont le président du Comité International Olympique Jacques Rogge. Quelques mois auparavant, ce voyage d'Etat avait suscité une polémique auprès des défenseurs des droits de l'homme et de l'indépendance du Tibet, car le gouvernement fédéral avait demandé au daïla-lama de reporter sa venue en Belgique prévue en 2005, afin de ne pas heurter les autorités chinoises.

Les liens entre la dynastie belge et la Chine sont nombreux. Bravant les critiques sur l'opportunité d'un tel voyage en pleine guerre froide, la reine mère Elisabeth (grand-mère d'Albert II) a été l'une des premières personnalités étrangères à s'y rendre dès 1961, ce qui lui a valu le surnom de "reine rouge". En tant que président d'honneur de l'OBCE, le prince Albert y a mené deux missions économiques en 1975 et quelques mois avant de monter sur le trône en 1993. Le roi Baudouin et son épouse ont effectué un voyage d'Etat en Chine en 1981. Devenue veuve, la reine Fabiola est revenue à Pékin en 1995 pour représenter la Belgique à la Conférence Mondiale sur les Femmes. Le prince Philippe et la princesse Mathilde ont déjà également présidé plusieurs missions économiques en Chine. Par contre, pour Paola, c'était sa première visite de l'Empire du Milieu.

Au troisième jour de leur séjour, le couple royal est reçu officiellement sur la célèbre place Tianamen par le président Hue Jintao et son épouse. Avant le dîner de gala, les deux chefs d'Etat assistent à la signature de 11 accords entre nos deux pays : 5 accords gouvernementaux, 4 commerciaux et 2 universitaires. On a également appris que Guy Verhofstadt y effectuera à son tour une visite officielle en 2006, suivie un an plus tard par une nouvelle mission économique du prince Philippe. L'organisation d'un festival Europalia Chine a été aussi annoncée.

A Xian, le Roi a rendu hommage au docteur Paul Janssen, pionnier des accords de coopération belgo-chinois et décédé en 2003. Les laboratoires pharmaceutiques qu'il a fondés sont numéro 1 en Chine et fournissent 25.000 hôpitaux. Notre souverain a visité la succursale de Janssen Pharmaceutica installée à Xian et y a dévoilé un buste de Paul Janssen.

Retour en Belgique. Suite à la révélation des abus commis dans la gestion des logements sociaux de Charleroi, Jean-Claude Van Cauwenberghe démissionne de son poste de ministre-président de la région wallonne. Son successeur Elio Di Rupo prête serment devant Albert II le 6 octobre.

Dans son discours de Noël 2005, le Roi se réjouit de la convivialité et de la gaieté des festivités organisées pour les 175 ans de la Belgique et les 25 ans du fédéralisme. Après un rappel peu intéressant de ses sorties publiques, il conclut :

"A l'occasion de ces nombreux contacts avec la population, j'ai senti combien, malgré les obstacles, le désir de mieux vivre ensemble est réel. C'est un peu comme si chaque région ou communauté, ayant acquis une large autonomie, souhaitait se rapprocher des autres d'une façon nouvelle.

Cela se manifeste de beaucoup de manières comme, par exemple, le désir d'apprendre la langue des autres communautés. Cela s'exprime aussi par le rapprochement entre universitaires du nord et du sud, notamment entre l'ULB et la VUB et entre la KUL et l'UCL. Cela s'illustre encore par le succès grandissant des initiatives du Fonds Prince Philippe qui encourage les échanges entre communautés, particulièrement entre jeunes. Non moins révélateur est la satisfaction des régions ou des communautés, lorsqu'elles perçoivent les succès ou les efforts de redressement économique entrepris par une autre région.

Tous ces faits expriment un message d'entente et de concorde que nous devons, malgré les difficultés, continuer à promouvoir avec courage, entre nos régions et nos communautés et entre tous les habitants de notre pays. En tout cas, toute forme de séparatisme est rejetée par l'immense majorité de nos concitoyens".

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